Protéger les tortues de Mayotte avec l'association Oulanga Na Nyamba
Propos recueillis par Doriane Blottière - Publié le 1 sept. 2021Jeanne Wagner, directrice de l'association Oulanga Na Nyamba
En shimaoré, Oulanga Na Nyamba signifie « Environnement et Tortues ». L'association œuvre depuis 1998 pour la préservation de la biodiversité mahoraise, en particulier des tortues marines et de leurs habitats.
À Mayotte, la Tortue verte et la Tortue imbriquée se reproduisent et s’alimentent, et d’autres espèces sont observées occasionnellement. Toutes les tortues marines sont menacées d’extinction.
Rencontre avec Jeanne Wagner, la directrice de l'association.
Q: Pouvez-vous nous présenter l’association et ses différentes missions ?
Oulanga Na Nyamba existe depuis plus de 20 ans, c'est une association localement très ancrée, nous travaillons avec beaucoup de partenaires, qui nous font confiance, et on sent que nos projets sont pris au sérieux. Il y a eu une belle évolution ces dernières années : nous sommes passés d’une salariée en 2018 à 8 salariés en 2021.
Nous avons plusieurs axes de travail : le premier c’est la sensibilisation au sujet de l’environnement et des tortues marines. On essaye de faire des animations adaptées aux publics partout où on le peut, notamment auprès des jeunes, des scolaires. Nous faisons aussi des formations auprès d’acteurs locaux, aussi bien dans des petites associations que pour les communes par exemple. On forme des ambassadeurs pour avoir des relais qui nous permettent de diffuser les informations encore plus loin.
La plus grande problématique pour les tortues marines à Mayotte, c’est le braconnage. Une femelle sur dix qui vient pondre est braconnée, c'est énorme et pas du tout soutenable pour les populations de tortues !
Le deuxième axe de travail, c’est la protection. La plus grande problématique pour les tortues marines à Mayotte, c’est le braconnage. Une femelle sur dix qui vient pondre est braconnée, c'est énorme et pas du tout soutenable pour les populations de tortues ! La vente de chair de tortue est très lucrative. C’est une vision à court terme pour ceux qui braconnent, ils ne regardent pas les conséquences alors qu'il n'y aura peut-être plus de tortues pour leurs enfants.
Nous avons une grande équipe avec notamment des services civiques qui sont présents sur les différentes plages où il y a le plus de braconnage. Leur présence peut dissuader les braconniers et ils peuvent alerter la gendarmerie. Et comme nous sommes une association agrée protection de l’environnement, nous pouvons porter plainte et on se constitue partie civile au tribunal pour tous les cas de braconnage.
Nous avons aussi un axe de travail « connaissances » : on fait des suivis de tortues en alimentation ou en reproduction, on participe à des projets de recherches pour tous ceux qui ont besoin de relais local, car à Mayotte nous n’avons pas d’institut de recherche donc les chercheurs extérieurs ont besoin d’appuis locaux pour mener à bien leurs travaux.
Nous essayons de collaborer avec le plus d’acteurs possibles et de les faire s’intéresser à la problématique, de mobiliser tout le monde pour trouver des solutions. Nous travaillons aussi avec les autres acteurs de la protection des tortues à Mayotte pour mieux fédérer nos moyens, et nous nous investissons dans des projets sociaux-culturels ou éducatifs, qu'on utilise pour transmettre nos messages, car une association écologiste environnementale pure et dure ne marcherai pas dans le contexte assez spécifique de Mayotte.
Q: Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans vos actions ?
Ici, il faut réussir à s’adapter à un contexte très instable. Le covid par exemple pour nous, c’est une problématique parmi d’autres. On fait remonter les problématiques, localement et à l'échelle nationale, mais les priorités ne sont pas les mêmes pour tout le monde, et tout le monde manque de moyens.
Le contexte de l’insécurité est très compliqué, on est souvent freiné au niveau des déplacements et de nos actions. Par exemple lorsque nos équipes signalent un braconnage, on ne peut pas être certain que la gendarmerie va pouvoir intervenir car il y a d’autres problèmes en cours et ils ne sont pas assez nombreux. Ce type d’actions devient de plus en plus dangereux pour nous.
Les problèmes de biodiversité à Mayotte sont encore peu connus en métropole et difficilement pris en compte, mais on essaye de faire remonter les problématiques en restant pédagogiques et diplomates. Même si l’État et le département nous appuient et nous financent, sur le terrain concrètement, ça manque de moyen.
On manque aussi d’expertise sur place, par exemple au niveau de la construction du centre de soin pour les tortues marines. C’est beaucoup moins facile de le construire ici à Mayotte qu’en métropole, on n'a pas forcément l’expertise sur place par rapport aux pompes et aux bassins. Il va falloir les importer, est-ce qu’on aura les compétences pour bien les installer et les entretenir ? Il faut qu’on soit le plus autonomes possibles. Mais on a l’habitude, ça fait partie du quotidien.
Q: La Kaz'a Nyamba, centre de soin et de découverte des tortues marines, est le projet pour lequel vous avez été lauréat de l’appel à projet MobBiodiv’ 2020 de l’Office français pour la biodiversité. Pouvez-vous nous en dire plus ?
On travaille dessus depuis 2015, c’est un projet multi-partenarial, attendu par tous les acteurs de l’environnement, du tourisme et par les élus qui nous appuient. C’est un projet très attractif et aussi très utile pour les tortues.
Il y aura une partie consacrée au soin aux animaux en détresse, qui nous permettra aussi de faire des suivis scientifiques pour avoir des informations sur les causes de leur détresse, les maladies... On pourra par exemple poser des balises sur les tortues relâchées pour avoir des informations sur leur écologie.
Nous allons également créer une Maison de la Tortue, un espace dédié à la sensibilisation des visiteurs, ce sera la seule structure d’accueil dédiée à l’environnement marin à Mayotte et on sait déjà qu’on aura de la demande. On espère modifier la tendance et que les personnes qui exploitent actuellement illégalement les tortues pour leur chair prennent conscience que c’est un meilleur moyen, plus durable, de valoriser la tortue.
Les travaux doivent débuter cette année mais les restrictions et la crise des matériaux dues au covid vont sûrement nous impacter. Dans le meilleur des cas nous espérons une ouverture en fin d’année 2022.
Q: Comment les gens peuvent-ils agir concrètement à Mayotte pour protéger les tortues ?
Déjà, ne pas manger de tortue et ne pas braconner. On a fait des enquêtes à ce sujet, même si c’est aussi pour le goût, c’est surtout sous l’influence de la société et des amis que la viande est consommée.
Quand les bébés tortue sortent sur le sable, souvent les gens ont envie de les aider, de les mettre à l’eau, mais il ne faut surtout pas intervenir car ce parcours vers la mer est nécessaire à leur survie.
Ensuite, il y a un certain nombre de consignes à respecter pour ne pas déranger les tortues lorsqu’on les observe, dans l’eau ou sur la plage. Nous avons travaillé avec l’ensemble des partenaires sur un dépliant, édité par le Parc naturel marin de Mayotte, qui explique tous les bons gestes à respecter. Nous organisons des sorties de nuit d’observation de ponte responsable, en respectant toutes les consignes qui empêchent le dérangement, toujours dans l’idée de sensibiliser le public et valoriser la tortue marine autrement. La ponte a lieu la nuit, il ne faut surtout pas déranger les tortues en ponte avec de la lumière. Après l’éclosion des œufs, quand les bébés tortue sortent sur le sable, souvent les gens ont envie de les aider, de les mettre à l’eau, mais il ne faut surtout pas intervenir car ce parcours vers la mer est nécessaire à leur survie. Lorsqu’on croise une tortue dans l’eau, en snorkeling par exemple, il ne faut pas trop s’approcher, ne pas déranger l’animal dans son comportement et ses besoins vitaux.
La plus grosse partie des impacts sur le milieu marin, c’est au niveau terrestre qu’on peut les résoudre.
Il faut aussi bien gérer ses déchets et ne pas polluer, ne pas abimer les habitats. La plus grosse partie des impacts sur le milieu marin, c’est au niveau terrestre qu’on peut les résoudre. Le défrichement provoque l’envasement du lagon et les constructions en bord de plage engendrent de la pollution lumineuse ou sont destructeurs d’habitats de tortue. Les touristes peuvent choisir des logements écotouristiques, pour avoir un impact positif. Nous organisons aussi pas mal d’évènement de nettoyage par rapport à la lutte contre les pollutions.
Q: Est-il possible d’être bénévole à Oulanga Na Nyamba ?
Notre association est très ouverte aux bénévoles ! Malgré le nombre de salariés qui augmente, on fonctionne avec beaucoup de bénévoles locaux. Nous avons aussi souvent des stagiaires. On préfère que les gens viennent pour de longues périodes pour s’adapter au contexte et être formés. Ça peut être sur l’ensemble des missions : suivis, actions de présence sur les plages, sensibilisation. Aujourd’hui nous avons un réseau d’une bonne trentaine de bénévoles qui sont présents tous les jours, et de nombreux adhérents qui participent aux sorties ou qui sont sympathisants. Il y a une bonne cohésion et une bonne entente entre les bénévoles et les salariés. On est preneurs de toute aide !
Retrouvez plus d’informations sur le site de l’association et suivez les actualités sur le Facebook d'Oulanga Na Nyamba. Contact : contact@oulangananyamba.com